
1 - LA PORTE
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Ça a commencé là, sur cette porte.
Je vivais au 10 rue Alibert à quelques pas du canal Saint Martin à Paris.
A l'emménagement, l'ancien locataire était passé nostalgique, jeter un dernier coup d’œil. Lui était resté 7 ans. Son copain ne comprenait pas son attachement, moi non plus. Intérieurement je commentais : " 7 ans ! Impossible ! Je ne tiendrai pas plus de deux ans, c'est pour ma part très provisoire "
Un studio de 15m2 où ma première nuit fut passée recroquevillée sur le clic clac sanglotante. J'ai commencé à aménager comme je pouvais. Et puis il y a eu ces nuits où prise d'une sorte de pulsion, je me suis mise à peindre ma porte, la seule que j'avais.
Des points, des traits et ma voix intérieure qui hurlait : "On est en location (ce "on" va peut-être me mener à Saint Anne), qu'est-ce que tu fais ? T'as pensé à la caution ? En plus tu ne sais pas dessiner !"
Elle n'avait prise sur cette sensation étrange, celle d'être spectateur de la main qui tapote la porte au feutre, les couleurs soufflées, comme traversée par une autre volonté.
Dans cette expérience, je ne pouvais pas me tromper. L'erreur n'existait pas. Peut-être parce que je n'avais aucun but, aucune idée en tête ou attente sur ce que cela devait être. Une expérience libre de toute contrainte hormis celle du support.
Quand j’eus fini, je suis restée coite.
Y-a-t-il un message dans ce dessin ? J'y ai vu le récit d'une quête, et surtout mon premier compagnon de route car beaucoup de mes toiles sont comme des tuteurs pour moi.
Elle fut la première de ces toiles qui m'ont donné de la force, qui m'ont rappelé que le monde est mystérieux et regorge de trésors d'expériences et d'émotions.
Au bout de 7 ans dans ce studio, il était temps pour moi de partir. Accroupie, j'ai pleuré de devoir la laisser derrière moi.
Quelques mois plus tard, de passage à Paris, je rendais visite à mes anciens voisins. Le studio avait été rénové et une jeune femme y vivait. Elle m'a permis d'y jeter un œil nostalgique. Je n'ai pas demandé à voir le recto de la porte, la constater repeinte m'aurait briser le cœur.
C'est elle qui a ouvert la voie à la suite et qui m'a appris à accepter de me laisser traverser par quelque chose que je ne comprends pas.
Je n'ai pas besoin de tout comprendre.
/ la suite : épisode 2 - LES CARNETS /